mardi

Au-delà de cette limite votre ticket n'est plus valable, Romain Gary

Encore un ouvrage qui fait penser que la science a du bon. Si Romain Gary avait connu le Viagra, il n'est pas certain qu'il se serait montré si désespéré du monde, si proche de la mort dans un corps en déchéance et sans vigueur dans la queue.


Quand on a que l'amour, et plus de jus, il est bien difficile d'essayer d'avancer.
Mais le roman ne parle pas que de déchéance sexuelle et d'un corps vieilli qui tente de trouver une issue glorieuse et financièrement acceptable pour sa famille, il évoque avec une lucidité étonnante la fin d'un temps béni, celui des Trente Glorieuses.
Le "jeune Chirac" est aux commandes, Chaban-Delmas et la vieille garde maquisardo-gaullienne à la ramasse, la crise se confirme, l'Amérique s'en sort, l'Europe est larguée, le bling-bling fait peine à voir, Venise est menacée par les eaux, le recours aux travailleurs étrangers est une nécessité mal acceptée... On est en 1975 mais à quelques détails près (dont la jeunesse de Chirac), les passages sociétaux sont d'une actualité assez étonnante. Ne serait-ce le Viagra.

Jacques Rainier, 59 ans, bande mou et sa brésilienne d'amoureuse âgée d'une vingtaine d'années ne lui en veut pas: le cauchemar.

Quand on connaît la passion pour l'amour des femmes de l'auteur, et quand on sait qu'il s'est suicidé quelques années après l'écriture de ce roman, on prend la mesure de la froide colère qui marque chaque ligne de cette triste histoire.


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Au-delà de cette limite, votre ticket n'est plus valable, Romain Gary (1975).

Un autre roman écrit par Romain Gary en 1975? La vie devant soi, d'Emile Ajar, un roman d'une tragique drôlerie, à faire pleurer dans tous les sens.

Un autre roman évoquant la fin d'une sexualité masculine débridée auprès d'une jeune américaine du sud? La bête qui meurt, de Philip Roth (2001).

Un film sur le sujet? La débandade, de Claude Berri (1999).
Au passage, il existe aussi la version cinématographique de La bête qui meurt, et ça s'appelle Elegy, et c'est réalisé par Isabel Coixet (2008), vec Ben Kingsley en David Kepesh!

Voilà!

jeudi

Les Forestiers, Thomas Hardy


Quand je lis "Les Forestiers", une chronique sociale et comme son nom l'indique, sylvestre, d'un patelin perdu au milieu des bois, je ris souvent des métaphores sexuelles balourdes et éculées (mais peut-être Thomas Hardy en est-il lui-même à l'origine avec ce roman pourtant méconnu?) tournant sans finesse autour des sous-bois qu'on farfouille, des tapis de mousse humides, des jeunes branches tendues comme des arcs et de la sève qui jaillit.



Tout y est: Grace, la jeune fille élevée au-dessus de sa condition; Mrs Charmond, la bourgeoise trentenaire ancienne coquette; Mr Fitzpiers, le jeune médecin cruel et séducteur; Melbury, le vieux père qui a tout sacrifié et surtout, surtout, Giles Winterborne, l'homme des bois. Ambiance victorienne, corsetée et pleine de convenances et d'inconvenances.

Par ailleurs et surtout, le roman est traversé de part en part d'un nombre considérablement affreux de tragédies et autres destins contrariés, hasards malheureux, mauvais choix, mensonges, aveuglement, décisions désastreuses...

Le roman s'ouvre et se ferme sur un personnage "secondaire" mais dont la présence, l'honnêteté, la sagesse, l'humilité et l'amour tu écrasent tous les autres personnages qui pêchent par orgueil ou gourmandise et qui finiront mal.

Un roman ni franchement optimiste ni guilleret, en somme.

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Les Forestiers, Thomas Hardy (1887).

Un autre roman, contemporain d'ailleurs quoique français, composé d'une succession de désastres? je pense à La joie de vivre, d'Emile Zola (1884).

Un autre roman anglais tapi dans la mousse assortis d'étreintes dans la terre en dépit des convenances? L'amant de Lady Chatterley, D. H. Lawrence (1928)! A compléter avec le visionnage du film de Pascale Ferran (2006), notant au passage une superbe scène de fontaine qui explose à un moment fatidique, pour filer l'idée de la métaphore sus-citée.

Disons que la métaphore est un procédé qu'il appartient à chacun d'apprécier, mais malgré tout, point trop n'en faut, c'est vite ridicule.


lundi

Berlin Alexanderplatz, Alfred Döblin


Dans le but d'élaborer un fond de références littéraires germanique, je m'efforce ces temps-ci à découvrir un peu la culture fondamentale de mon nouveau pays, l'Allemagne, qui m'est jusqu'alors totalement étrangère, et je m'en consume de honte.
Grâce à Alfred Döblin, mais aussi et surtout grâce à l'infatigable concours de Franz Biberkopf (notre héros), me voilà désormais un peu plus renseignée sur l'Allemagne, ou tout au moins sur les bas-fonds berlinois de la fin des années vingt, ce qui concentre déjà pas mal de choses.

La couverture Folio, un détail du Crépuscule, aquarelle de Georg Grosz (un ami d'Otto Dix, un de mes peintres allemands favoris sinon mon), datant de 1921, annonce tout à fait la couleur, une fois n'est pas coutume.
La force du roman tient dans la carrure de Franz Biberkopf, l'arsouille avec qui le Destin ne prend pas de pincettes, un ancien déménageur voyou séduisant les fifilles, souffrant d'alcool mauvais et d'une droiture aléatoire quoique sincère.

Nous suivons ses pérégrinations berlinoises sur une petite paire d'années qui en valent dix au bas mot, aux côtés d'un narrateur omniscient tout aussi désolé que nous du spectacle offert par Franz Biberkopf.

La langue est belle, l'histoire est forte, les personnages affolants, la période fascinante, le lieu étourdissant, l'ensemble est d'une modernité assez incroyable et je vais bientôt me promener sur l'Alexanderplatz avec un regard particulier et je ne manquerai pas de zyeuter l'entrée du métro en pensant au cheval qu'en a sorti un Franz Biberkopf amoindri lors de sa construction il y a bien longtemps de ça.

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Berlin Alexanderplatz, un roman monumental d'Alfred Döblin (1929).

D'autres artistes allemands qui me plaisent: Dürer, Goethe, Paul Klee, Kandinsky, Otto Dix, Hermann Hesse, Erich Maria Remarque, Leni Riefenstahl (non! ça c'est une blague!).

Je ne connais absolument rien au cinéma allemand, mais je connais sa valeur et l'ampleur de mon ignorance, j'espère combler ce manque très rapidement. N'empêche que j'ai adoré un fameux film récent se passant à Berlin: Good bye, Lenin!, un film de Wolfgang Becker (2003).

Berlin Alexanderplatz adapté à la télévision? Rainer Werner Fassbinder l'a fait, en 1980, et ça tient en 14 épisodes que j'ai hâte de voir (décidement).





jeudi

Trois hommes dans un bateau (sans parler du chien!), J.K. Jerome

Voilà un petit ouvrage fort distrayant découvert au détour d'une page d'un numéro hors-série du Point consacré à l'esprit anglais, étant entendu qu'en dehors d'un sujet pareil il ne m'arrive strictement jamais d'acheter le Point, que les choses soient clairement posées comme de bien entendu.


D'après l'interminable préface, Jerome K. Jerome, un nom somme toute révélateur, n'eut pas le succès d'estime que sa popularité aurait pu lui laisser espérer. Admettons qu'on est loin du chef d'oeuvre et de l'aisance humoristique et légère de P.G. Wodehouse ou d'Evelyn Waugh, mais ça se laisse déguster joyeusement avec un Tonic bien frappé.

Ca se passe dans la petite bourgeoisie londonienne, celles de petits employés, doux inconséquents, célibataires encore mais joyeusement séducteurs à l'occasion; noyés dans l'absurde et le non-sens du début à la fin, ces jeunes hommes passent une semaine de vacances à canoter sur la Tamise, vacances somme toute plus dévastatrices pour les personnes qu'ils croisent que pour le lecteur (sans parler du chien).

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Trois hommes dans un bateau (sans parler du chien!), Jerome K. Jerome (1889).

D'autres romans britanniques et drôles? il suffit de demander, j'aspire à devenir une spécialiste! Aujourd'hui, je conseillerai simplement Grandeur et décadence, d'Evelyn Waugh et n'importe quel Jeeves de P.G. Wodehouse, mais j'en reparlerai.


mercredi

Gros-Câlin, Emile Ajar

Romain Gary, un des plus flamboyants et mystérieux auteurs du XXème siècle: courageux, intelligent, talentueux, drôle, politique, beau, et en plus de tout ça légendaire; vraiment un de ces types dont on voudrait faire un modèle pour son propre fils (Romain Gary pêchait-il par bavardage étant enfant? voilà qui me tourmente pour des raisons filiales justement).

Pourquoi parle-je de Romain Gary? Car Emile Ajar naquit de l'imagination dudit Romain Gary (né Roman Kacew, d'ailleurs) (il a écrit sous d'autres pseudos aussi, mais dans une moindre gloire), pour devenir l'auteur de quelques uns de ses plus chouettes romans, notamment La vie devant soi (prix Goncourt en je ne sais plus quelle année mais ça doit se trouver aisément dans l'internet mondial) et ce Gros-Câlin, méconnu mais délicieusement neurasthénique et pathétique à mon goût.

Cousin a vingt-huit ans, il est orphelin, parisien et statisticien, on comprendra aisément son énorme besoin de bras pour l'étreindre, le réchauffer, lui témoigner de l'affection, de la sympathie et de l'amour si possible démographique. Un gros python fera l'affaire.

Innocence, naïveté et terrible clarté de vue font déjà partie du style inimitable d'Emile Ajar (Gros-Câlin est son "premier" roman). Il évoque principalement la solitude du monde moderne, les difficultés de communiquer, mais sur un ton si décalé et drôle malgré tout qu'on oublierait presque le pessimisme sur lequel s'achève à mon sens le roman.

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Gros-Câlin, Emile Ajar (Romain Gary), 1974.

Un autre roman merveilleux d'Emile Ajar? La vie devant soi, Prix Goncourt (refusé) 1975. Egalement adapté avec succès au cinéma en 1977 par Moshé Mizrahi, Simone Signoret interprétant le rôle de Madame Rosa (et oscarisée pour cela).