mercredi

Tours et détours de la vilaine fille, Mario Vargas Llosa

Comme ce roman m'a proprement retournée, il m'est à la fois aisé et délicat d'en parler.Disons que nous sommes là entre saga romanesque, science fiction, cucuteries de l'amour, et observations sociologiques et politiques, via Paris, Londres, Tokyo, Madrid, des années 60 à fin 90. 
Un peu (beaucoup) de sexe, de littérature, de réflexions sur le sens de la vie, la rigueur, l'honnêteté (où ça commence, où ça finit), la fidélité (amicale, amoureuse), et bien sûr le rapport à son pays, le fuir, le renier, le regretter, le défendre.


Une sorte de roman génial, lointainement apparenté à Philip Roth et même mâtiné d'un peu de Paul Auster, sauce péruvienne. Un grand roman Vargas Llosesque, plein donc de ses thèmes de prédilection, d'un style limpide et drôle, envoûtant et poétique, je regrette évidemment de ne pas lire l'espagnol.

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Tours et détours de la vilaine fille, Mario Vargas Llosa, Gallimard, Folio, 2006.

D'autres chefs d'oeuvre péruviens de Mario Vargas Llosa: La fête au bouc, La tante Julia et le scribouillard, La ville et les chiens, Qui a tué Palomino Molero?

mardi

Valse avec Bachir, Ari Folman

Un époustouflant film d'animation pour adulte - ce qui ne veut en aucun cas dire qu'on y voit des dessins de fesses et de zizis partout. Quoique ça arrive à l'occasion, dans cette sublime scène de sortie de l'eau  sous les lumières des bombardements de Beyrouth.


Il s'agit d'un dessin animé documentaire, qui retourne sur les traces  des massacres de Sabra et Chatila (camps de réfugiés palestiniens au Liban) lors de la guerre du Liban, en 1982, et surtout le souvenir qu'en ont (ou que n'ont pas, justement), certains appelés israéliens de l'époque: le réalisateur, Ari, d'anciens amis, aidés dans leur quête de souvenirs précis par des journalistes ou des officiers. 

On apprend des choses sur les caprices de la mémoire, sur les difficultés de la confusion entre histoire personnelle et Histoire,  sur les Phalangistes chrétiens du Liban, sur Ariel Sharon qui mangeait des oeufs frits au petit-déjeuner dans son ranch, sur la position très spéciale des jeunes soldats israéliens, face à la guerre et au monde militaire qu'ils n'ont pas forcément choisi, et face à la société civile qui vit dans un monde à part le temps de leur service.


L'animation superbe autant que surprenante sert le propos avec sobriété, rigueur, et un calme étonnant (d'autres images -ici-). Et la langue si magnifique rythme avec une grande douceur ces si sombres propos.

Enfin, pour précision, Bachir, c'est Bachir Gemayel, président du Liban assassiné par les syriens, qui en ont gardé l'habitude, comme ne s'en soucie guère président Sarkozy.

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Valse avec Bachir, un film de Ari Folman, (France-Israël-Allemagne/ 2007). 

Un autre dessin animé d'inspiration moyen-orientale, entre histoire et Histoire: Persepolis, de Marjane Satrapi et Vincent Paronnaud.

vendredi

Joyeuses funérailles, Ludmila Oulitskaïa

Un délicieux petit roman réunissant à la fois de l'âme slave et de l'esprit new-yorkais que j'affectionne tant.



Il y a plein de monde qui circule dans ce grand loft où le héros de ces dames se meure lentement; d'après les infos télévisées, ça bouge en URSS; l'Amérique a réservé des parcours différents à tous ces émigrés qui se fréquentent autour du futur défunt, comme un Moscou reconstitué; l'air suffoquant de l'été new-yorkais plonge tous les personnages, qui veillent au chevet de leur ami, dans une certaine torpeur, se désaltérant de vodka au jus d'orange, à la mode américaine. Une jeune fille qui se cherche une histoire, des ex-maîtresses qui ressassent, un pope et un rabbin, une folle qui ne sait pas quoi se mettre, le sens du départ, beaucoup d'amis responsables, une scène finale très émouvante.

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Joyeuses funérailles, Ludmila Oulitskaïa, Gallimard, Folio (1997).

Un autre petit roman bourré d'expatriés bohêmes: Jours tranquilles à Clichy, Henry Miller.

jeudi

Vacances de printemps, Lewis Trondheim

Une nouvelle aventure de Lapinot, avec ses deux inséparables acolytes et la souris qu'il cherche désespérément à se faire d'un album à l'autre.
Pour les gens qui méprisent la bande dessinée en tant que genre littéraire de bas étage, il n'y a plus rien à faire, à part porter des tuniques ethniques, boire du thé fumé, et se limer les ongles des pieds.
Pour les gens civilisés qui aiment le vin rouge, les déclinaisons de ballerines, et manger des raisins secs au cinéma, Lewis Trondheim n'est rien de moins qu'un génie. 

Cette aventure se passe, disons, du temps de Jane Austen, dans le pays de Jane Austen, avec des gens un peu plus fortunés que chez Jane Austen, dont la plupart des héroïnes peinent un peu, à vrai dire. 

Cette précision nécessaire éclaire le concept des Formidables aventures de Lapinot. Sachez en effet que les épisodes précédents se passaient:
  • à Chamonix pendant les sports d'hiver, entre Clo-Clo en boîte de nuit et gueules de bois au vin chaud (ça c'était le zéroième tome, pour vous donner une idée);
  • dans le Far-West américain, avec saloon, filles de joie en petite dentelle, shérif corrompu, suffragettes et chercheurs d'or;
  • à Paris, avec des trentenaires d'aujourd'hui, vivant chômage et célibat, et tiraillés entre réussite sociale et concessions ou fidélité aux idéaux de jeunesse dans une société aseptisée, voyeuriste, politiquement correcte et hypocrite;
  • dans le Paris d'Eugène Sue et d'Adèle Blanc-Sec, enquêtes de policiers patibulaires, savants fous et créatures mystérieuses.

Le tout pétri de bons mots, d'astuces, de dessins léchés, de fils conducteurs d'un épisode à l'autre, d'amour et d'amitié.

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Vacances de Printemps, tome 5 des Formidables aventures de Lapinot, Lewis Trondheim (et Frank Le Gall pour cet épisode), Poisson Pilote, Dargaud (2001); 9€ (au moins).

D'autres histoires d'amour  se passant dans la campagne anglaise du siècle dernier: Orgueil et Préjugés, Jane Austen; Hurlevent, Emily Brontë; Lady Chatterley, D.H. Lawrence.






lundi

L'immeuble Yacoubian, Alaa El Aswany

Voici un roman très passionnant et politiquement incorrect, et pas que pour les intégristes égyptiens; quelques passages m'ont moi-même mise un peu mise à l'aise, pourtant Dieu sait (que son nom soit exalté) qu'il en faut beaucoup.
 
Il s'agit d'une évocation sans concessions de la société cairote (du Caire) des années 90, entre montée de l'islamisme et du terrorisme, du refus des héritages, colonial occidental autant que communiste sous Nasser, de la corruption, de la religion, du poids des traditions les plus rétrogrades, du déchirement des êtres entre poids du passé et désir d'avenir, si j'ose dire.
 
Il est par ailleurs vraiment beaucoup question de sexualité, les rapports que chacun des personnages entretiennent avec la leur expliquant beaucoup d'eux-même et de leur rapport au monde: liberté voire libertinage, mensonge, lâcheté, hypocrisie, prostitution (réelle, symbolique, licite mais effective), frustration, violence ou épanouissement; le tout avec un peu d'homosexualité, de pudeur, de viols, de glorification du plaisir simple, de pédophilie, de mariages arrangés, de tabous. 


Quoiqu'il advienne pour chacun des habitants, hommes, femmes, vieux, jeunes, pauvres, riches, seuls ou en famille, personne ne sort indemne de cette tranche d'observation, car l'hypocrisie règne à tous les étages de l'immeuble Yacoubian (et dans la société égyptienne); ça donne moyen envie de visiter les pyramides, mais je conseille cette lecture.

Il existe une adaptation cinématographique (un film, quoi) qui avait fait scandale à sa sortie en Egypte, je vais demander à un musulman avec qui j'entretiens une sexualité positive, épanouie et libérée de toute entrave religieuse de le télécharger illégalement un de ces jours.

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L'immeuble Yacoubian, Alla El Aswany (2004), Babel (Actes Sud), 8,50€.

Le film (pas encore vu), L'immeuble Yacoubian, un drame égyptien de Marwan Hamed.